Emma Cavalier

Auteur : Emma Cavalier

La leçon d’écriture érotique d’Emma Cavalier

  

Trouver le mot juste pour titiller le lecteur, respecter les codes du genre sans tomber dans le cliché… C’est tout un art d’écrire un bon roman érotique ! Emma Cavalier connaît son sujet et nous dévoile les clés de son inspiration. Pour écrire un bon roman de littérature érotique, il faut…

Faire référence aux grands classiques… et s’en démarquer !

Dans mon premier roman, Le Manoir, les classiques de la littérature érotique étaient un personnage à part entière, sur les rayons de la bibliothèque que Pauline découvre au début de l’histoire : Histoire de l’œil de Georges Bataille, Histoire d’O de Pauline Réage, les Onze mille Verges d’Apollinaire... Plutôt que de tenter à tout prix de transformer ces influences en quelque chose d’original, je les ai assumées jusqu’à les citer directement, je n’ai pas hésité à reprendre des lieux communs, des passages obligés de la littérature érotique. L’érotisme fait partie de ce qu’on appelle la littérature « de genre » (comme le polar ou le thriller), c’est-à-dire qu’il y a des codes à respecter, on s’inscrit dans un cadre. Mais en réalité, qu’on en ait conscience ou pas, on écrit toujours quelque chose de nouveau. Histoire d’O, le grand classique de la littérature sadomasochiste qui a inspiré le Manoir en tant que lieu, a été écrit dans les années 50. Le monde n’est plus le même, la place de la femme en particulier a changé. Quand on écrit sur le même thème soixante ans plus tard, se démarquer est une évidence et une obligation.

S’affranchir des clichés

Personnellement je ne suis en effet pas très fan du vocabulaire très cru, très pornographique. Certains auteurs et autrices sont à l’aise dans ce domaine et manient l’argot et les insultes avec brio. Ils appellent un chat un chat (ou plutôt une chatte, ah ah !) De mon côté, j’ai des difficultés avec ça et l’écriture des scènes les plus chaudes me donne toujours énormément de fil à retordre. Pourtant, je ne crois pas que ce soit un gage de qualité. Chacun et chacune a sa sensibilité à l’égard du langage : des lecteurs ou lectrices peuvent trouver choquant qu’on écrive les mots « clitoris » ou « pénis » alors que d’autres n’ont aucun problème avec des termes encore beaucoup plus crus. Certains ou certaines seront mal à l’aise avec une scène explicite même si elle ne contient aucune description anatomique et d’autres vont rester sur leur faim. Alors je dirais que lorsqu’on écrit, notre travail consiste à trouver le ton qui est juste pour nous : la plupart du temps, il sera juste aussi pour les autres.

Ne pas chercher à être à la mode

La mode, j’ai toujours trouvé ça très compliqué. Devoir constamment s’assurer que son propre goût colle avec celui des autres, alors que tout change en permanence très vite, est à mon avis nuisible pour la santé mentale. Mais bon, la mode, c’est aussi l’air du temps, si bien que cela ne m’a pas empêchée de publier Le Manoir un an avant Cinquante Nuances de Grey (totalement à mon insu !) ni de choisir pour le bébé de Pauline le prénom de garçon le plus donné cette année-là. Peut-être que c’est justement quand on cherche à éviter la mode qu’on tombe dedans à pieds joints ?

Laisser parler son imagination

L’imagination, c’est comme le talent : à mon avis, on en a tous été généreusement dotés à la naissance et la seule question qui se pose est de les faire fructifier ! Dans mon cas, l’imagination qui alimente mes livres est comme un puzzle constitué à partir d’une multitude de lectures, de situations, d’histoires, de musiques, de rêves qui traversent ma vie, et un jour se fixent sur le papier, sous la forme d’un personnage, d’une intrigue ou d’une anecdote. Mon imagination fonctionne comme une énorme usine de recyclage qui tourne en permanence, créant du nouveau matériau à partir d’objets de récupération. Quand je suis frappée par la fameuse « angoisse de la page blanche », je pose mon stylo et je vais me promener. Si je devais vous donner un conseil pour cultiver votre imagination, ce serait de vous exercer à perdre du temps. Allez marcher pour la dixième fois dans les mêmes rues (merci le confinement !), ennuyez-vous pendant un cours ou une réunion, en faisant la queue à la poste, pendant un voyage en train. Laissez votre esprit vagabonder. Autorisez-vous même à vous endormir. Peut-être qu’en ouvrant les yeux, une nouvelle histoire pleine de fantaisie aura éclos...

Trouver l’équilibre entre l’amour et le sexe

Pour moi les deux sont indissociables, en tout cas dans la littérature érotique actuelle. Si vous cherchez du sexe sans vouloir réfléchir aux émotions et aux sentiments qui y conduisent, il y a Youporn ! Ce que je trouve justement intéressant dans la littérature érotique, c’est qu’elle nous invite à regarder en face ce que nos émotions et nos sentiments font à nos corps, et réciproquement. Et s’il y a bien une chose que nous autres, êtres humains, avons en commun, quel que soit notre genre, notre milieu social, notre couleur de peau, notre âge, c’est que nous avons tous... un corps. Un corps avec lequel nous avons des conflits (vous détestez votre nez ? Vous voulez perdre 3 kilos ? Votre entorse à la cheville se réveille quand il pleut ?), un corps qui nous impose ses lois (il n’y a que les personnages de séries qui n’ont jamais besoin de manger ni d’aller aux toilettes), et un corps qui parfois nous transporte vers les expériences les plus merveilleuses (un bon repas, une performance sportive... une folle nuit de jambes en l’air.) C’est ce qu’on appelle le plaisir. Ce que j’aime dans la littérature érotique, c’est qu’elle nous autorise à nous confronter à cette partie de nous que la morale nous a appris à garder bien à l’abri d’une porte fermée. On va enfin découvrir ce qui se passe une fois qu’on s’est dit je t’aime, qu’on s’est embrassés... comment cela peut devenir encore plus formidable, ou au contraire mal tourner. L’écriture érotique nous confronte à ce qu’il y a de plus intense et de plus méconnu en nous. C’est pour moi une quête d’humanité, davantage que de sexe.

Garder l’esprit ouvert

Je crois qu’on n’y échappe pas, sauf à rester dans un territoire extrêmement limité qui va vite devenir ennuyeux. Écrire de la littérature érotique va vous emmener à la rencontre de l’inconnu(e) qui sommeille en vous. Pour cela, il faut accepter de laisser sortir tout ce que votre inconscient a à vous raconter, même si cela paraît étrange, sordide ou inacceptable. Les grands textes classiques de la littérature érotique et pornographique, à commencer par Sade, ont exploré le versant le plus sombre de l’âme humaine. Aujourd'hui la tendance serait plutôt à censurer (ou mieux, s’autocensurer) pour éviter tout ce qui pourrait offenser le lecteur ou la lectrice. Je crois au contraire que refuser d’aller explorer ces zones d’ombres, c’est se condamner à subir leur influence sans la comprendre. La littérature, la fiction sont des outils très puissants de catharsis, c’est-à-dire qu’ils ont le pouvoir d’évacuer nos fantômes en disant leur nom. Pour cela, il faut accepter de regarder ces spectres en face, sans systématiquement s’identifier ou se projeter. En clair, si vous pensez que vous ne pouvez lire (ou écrire) que des choses que vous seriez réellement capable de faire au lit avec votre partenaire, c’est comme de refuser de lire un polar ou de regarder un film d’action parce que vous ne vous voyez pas tuer quelqu’un. Actuellement je trouve que dans le domaine de l’érotisme nous sommes en train de perdre cette distance et cela m’inquiète. Donc gardons l’esprit ouvert, et continuons à défendre la liberté d’expression (et d’imagination!).

Interroger la délicate question du consentement

C’est le thème de Retour au Manoir. Après #MeToo, impossible d’écrire sur un sujet aussi controversé que le BDSM sans aborder cette question. En réalité, elle était déjà au cœur du premier opus de la trilogie. En face du consentement, se trouve la notion de liberté : on ne peut consentir que si on est libre. Le BDSM repose sur l’idée qu’on devrait pouvoir être libre de choisir de ne plus l’être (vous me suivez ?) mais cette liberté est aujourd’hui très controversée par certains mouvements féministes, qui considèrent que le poids du carcan social et patriarcal est tel qu’il définit inconsciemment nos choix. Alors au risque d’éluder la question je vais renvoyer à une autre liberté : la liberté d’expression. La littérature (érotique ou non) c’est de la fiction, pas du réel. On peut la vouloir engagée et donc s’attacher à en faire le message pour un certain nombre de choses importantes comme le consentement, le port du préservatif, etc. Mais on peut aussi vouloir être poète et l’utiliser justement pour peindre un monde où on serait affranchi de ces contraintes et précautions. Vous tenez la plume, à vous de choisir.

Nourrir ses fantasmes

On m’a souvent demandé « Pauline, c’est vous ? » ou encore « vous pratiquez le BDSM vous-même ? » mais à mon avis, ce n’est pas ainsi que se pose la question. Bien sûr, Pauline comme chacun de mes personnages représente une part de moi : c’est ce que j’appelle « l’ingrédient magique », comme un don que la fée-écrivain fait au personnage, d’un coup de baguette sur son berceau. C’est ce qui lui donne vie. Écrire de la littérature érotique, c’est sauter le pas qui consiste à exposer ses fantasmes au vu de tous. Si cela ne vous fait pas fantasmer, cela ne marchera pas non plus pour votre lecteur ou votre lectrice. Mais nourrir vos fantasmes ne signifie pas forcément que vous devez sortir dans la rue et tester sur vous-même tout ce qui vous passe par la tête ! Pour Le Manoir, j’ai essentiellement travaillé avec des montagnes de documentation, trouvée dans des livres et sur Internet. Les mots sont un excellent combustible quand il s’agit d’alimenter le feu de vos désirs...

Inventer ses propres règles

Si vous en avez la capacité, vous affranchir des règles est une expérience formidable. Personnellement, pour écrire j’ai besoin d’un cadre : les règles servent à me guider, comme les bandes blanches qui dessinent la route (ce qui n’empêche pas d’emprunter de temps en temps une piste aventureuse, ou de s’autoriser une sortie de route!). Je suis une adepte de ce que les oulipiens appellent « l’écriture à contrainte » : respecter un certain nombre de pages, ou de chapitres, s’obliger ou s’interdire d’utiliser tel ou tel mot, respecter une structure donnée... Par exemple, dans Le Manoir, tous les chapitres ont exactement la même longueur. Dans les 3 tomes, j’ai inséré dans le texte des passages en italique qui font référence à une temporalité différente. Dans Légendes du Manoir, chaque titre de chapitre est une référence au sport. Etc. Ces contraintes forment un cadre sur lequel je peux m’appuyer pour avancer dans l’écriture, de la même manière qu’un musicien utilise les gammes pour composer. Donc écrivez avec des règles, oui, mais fixez vos propres règles !

Se laisser surprendre

Votre premier lecteur, c’est vous. Vous ne bousculerez votre lecteur que si vous arrivez à vous bousculer vous-même ! Vous allez me dire, comment être bousculé par quelque chose qu’on a soi-même écrit ? Beaucoup d’autrices et d’auteurs en témoignent, l’écriture peut amener à une sorte d’état de transe où on a l’impression de ne plus avoir prise sur le déroulement de l’histoire, comme si les personnages agissaient par eux-mêmes. Il n’y a rien de plus grisant ! On peut alors espérer que vos propres personnages arriveront à vous surprendre, à vous contrarier, à vous obliger à changer d’avis ou de plans... bref à vous bousculer ! Surprise garantie à l’autre bout pour vos lecteurs et lectrices.

S’amuser enfin !

Mille fois oui ! Écrivez d’abord pour vous. Ne réfléchissez pas à ce que les gens penseront de vous, s’ils seront choqués, amusés ou furieux, étonnés ou conquis. Faites-vous plaisir, soyez sincère avec vous-même. Et soyez certain(e) qu’une fois votre travail accompli, vous trouverez des gens qui partageront vos émotions.

Emma Cavalier est bibliothécaire et vit à Paris. Son premier roman, Le Manoir, a été salué par la critique et le public. Il a obtenu en 2011 le prix Eros Evian du meilleur premier roman érotique.

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